L’ouvrage de 120 pages est un roman qui se présente sous la forme d’un drame réaliste. Publié aux éditions Myriapode, le livre s’ouvre sur une citation de l’auteur russe Dostoïevski. Tout débute par une référence à Dieu et à la ville de Bordeaux. Dès les premières pages, le lecteur se voit attribuer le rôle d’un « juge-lecteur », qui aura pour but de se confronter à la vie du narrateur. Ce qui saute vraiment aux yeux lors de cette lecture fascinante repose avant tout sur le style de cet écrivain, brodé à la dentelle. En effet, les tournures de phrase sont travaillées avec minutie. Le vocabulaire très riche et le lexique pointu donnent même un aspect très classique et traditionnel à ce roman, qui aurait pu être écrit au vingtième siècle. D’ailleurs, Victor Kathémo n’hésite pas à y inclure de nombreuses références artistiques, philosophiques et littéraires — qui insufflent une identité intellectuelle et sensible à ce texte puissant.

De nombreux destins qui forment la toile d’un monde violent

Victor Kathémo fait le choix de présenter de nombreuses petites histoires, qui se développent autour d’une trame principale qu’est la vie de son personnage Jérôme Jauréguy. Celui-ci s’adresse au lecteur par un « vous » répétitif, et surtout — le lecteur fait directement partie de l’histoire, car il est désigné comme représentant de la justice. Cet ensemble s’ouvre sur un certain monsieur Le Guen, qui aurait été poursuivi par un voleur sur l’île Bourbon. Alors qu’il traverse une route où circulent de nombreux véhicules, la victime manque de se faire renverser. Heureusement, il échappe au pire, mais finit tout de même à l’hôpital. Finalement, le fou n’était qu’un rêve et ce vol était le fruit de son imagination…

« Je brode peut-être mes propos, mais les personnes comme vous n’ont-elles pas le destin des accusés entre leurs mains ? »

Ce récit original se place sous un angle à la fois ouvert et fermé à ce monde qui est mentionné dans le titre de l’œuvre. Ainsi, le narrateur n’hésite pas à se lancer dans de nombreuses petites histoires différentes aux quatre coins du globe, afin de mettre en lumière différentes thématiques, qui seront traitées tout au long des chapitres. Par exemple, l’auteur évoque un certain Monsieur Dominguez, un bailleur qui soumet au riche don Carlos l’idée d’accueillir l’enfant d’une femme très pauvre, Munoz. Avec sa femme Emmanuelle, Monsieur semble ouvert à cette idée. Cependant, un drame n’est jamais loin et risque d’anéantir la destinée de cette famille.

Un marginal qui se différencie de la masse pour parler au nom de tous

Avec son ton sarcastique et ironique, voire dénonciateur, le personnage face au juge est à l’image du valet de Molière. Intelligent et observateur, il connaît tout un tas de légendes et histoires, qui font de lui le porteur de connaissances. Et pourtant, s’il sait raconter, la vie de Jérôme n’est pas plus lumineuse pour autant. Le lecteur est amené à en apprendre plus sur le parcours de cet homme divorcé, qui a travaillé dans l’imprimerie. Très imaginatif, ce personnage s’évade grâce au football et à sa télévision, qu’il surnomme Archelon, le « pondeur d’images ». La séparation avec sa femme Sabine suscite de nombreuses souffrances pour lui, qui peine à se trouver une place. D’ailleurs, son déménagement n’est pas de tout repos. Il s’agit d’un lieu vétuste, où la chambre prend des airs de caveau.

Un berger malmené par ses bêtes et un flic amoureux d’une prostituée

Dans ce « tourbillon de la vie », le narrateur qui se livre sans tabou effectue souvent des parallèles entre les petites histoires qu’on lui a racontées et qu’il aime transmettre et sa propre existence. Même si ces mini-fables n’ont pas l’air d’avoir de rapport direct avec son quotidien, le sous-texte est nettement plus fin et subtil… Pour ce personnage hautement sensible, les affres de la dépression lui donnent le vertige. Comment concilier une vie normale avec cette maladie qui gangrène l’esprit ? Dans sa tentative désespérée de se fondre dans la masse et de prendre la forme d’un moule normatif, Jérôme ne cesse de souffrir. Cette douleur constante est aveuglante, même si ce protagoniste fait preuve d’humour et parfois de légèreté. C’est aussi ça, la maladie mentale : donner l’impression d’être mesuré et hurler à l’intérieur.

Finalement, le roman de Victor Kathémo s’achève sur une note amère. Ce récit haletant offre une vision plutôt pessimiste, qui s’accorde bien avec la citation de Dostoïevski en ouverture. Cependant, la personnalité de son personnage complexe pourrait également représenter un certain message d’espoir. Tout en ambiguïté, le destin de l’humanité est teinté de gris et n’incarne nullement l’absolu. Dans ses errances physiques, Jérôme Jauréguy fait partie de ces personnages que l’on pourrait lire des heures sans se lasser. Parfois choquant, il suscite l’empathie du lectorat, qui s’interroge sur le fondement de ses discours intéressants, comme un plongeon dans la psyché d’un être qui ne se sent pas chez lui, nulle part — et qui pourtant ne cesse de regarder par la fenêtre du monde qui grouille.

Le site de l’auteur : http://victor-kathemo.com/

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