– Vous avez un jour dit : « Écrire est pour moi autant un besoin qu’une souffrance ». Pouvez-vous m’en dire plus ?
Oui, c’est très curieux mais Marceline ou le monde des autres est le premier livre que j’ai pris plaisir à écrire. Avant cela et depuis que je suis enfant, il y a toujours eu un malaise autour de moi et dans mon milieu bourgeois, nous n’en parlions pas. Bref, j’ai d’abord écrit de la musique, ce qui était pratique pour évacuer les choses sans exprimer mes sentiments avec des mots… Mais cela n’était pas suffisant alors j’ai commencé à écrire. Mes livres sont sortis les uns après les autres dans la souffrance, une espèce de lutte avec moi-même mais une sorte de thérapie. A la différence des autres, ce livre est venu facilement à moi, je me suis amusé à l’écrire et je me suis senti bien.
– Comment avez-vous eu l’idée d’un tel scénario ?
D’abord, il y a le décor, la ville de Rougemont qui fait référence à la ville de Senlis, une ville que je connais bien parce que mes grands-parents y avaient une maison. J’y allais quand j’étais enfant et j’en ai beaucoup de souvenirs. Je voulais faire un livre sur cette ville que j’aime beaucoup. Puis j’ai trouvé un sujet rapidement : la bourgeoisie au milieu de Senlis. Une bourgeoisie complètement renfermée sur elle-même et qui n’accepte personne d’autre qu’eux. Dans mon enfance, nous avons vu apparaître à la fin des années 1960, une petite cité en face de chez nous, justement celle des Béguines dont je parle souvent dans mon livre. Mes grands-parents étaient un peu navrés et j’ai eu l’idée de faire un livre sur la confrontation entre les gens des cités qui ne peuvent pas évoluer et ceux de la ville qui eux, ont peur des cités. Deux mondes qui ont des valeurs fortes mais différentes. Dernière chose et non des moindres, je voulais absolument faire un roman sur le blocage dans la société française actuelle de l’ascension sociale qui ne fonctionne pas. De tout ça, à découler l’histoire de mon livre.
– Est-ce qu’un personnage vous ressemble ?
Pas spécialement et il y a forcément de moi un peu partout mais le personnage qui me ressemble le plus est peut-être celui de France. Comme elle, je ne pourrais pas vivre toute l’année dans une ville trop calme et excentrée. J’imagine la nuit, le brouillard, la pluie et le manque de distraction… Vraiment, je ne pourrais pas, je deviendrais fou et je la comprends pour ça.
– Vos personnages sont très développés avec des caractères très prononcés. Sont-ils fictifs, le fruit de votre imagination ou des personnes que vous connaissez ?
Ce sont des gens que j’ai pu croiser. Des Jean-Patrick j’en ai croisé beaucoup même à Paris, pas seulement en Province. Les deux garçons sont complètement inventés malgré qu’Henry soit un peu influencé par mon grand cousin germain qui faisait un festival de bêtises comme lui et moi comme Paul, je m’amusais à le regarder mais c’est tout. France est inventée, la famille Fraisse également. J’ai cherché et j’ai aimé creuser le caractère de chacun pour les comprendre tout en les inventant.
– Avez-vous développé de l’affecte pour certains personnages au fur et à mesure de votre écriture ?
Je dirais la famille Fraisse en général. Marco avec ses colères un peu alcoolisées sur les bords mais qui est un type franc et droit. Le grand-père qui est un homme très digne malgré des origines compliquées. Puis il y a Angèle, très discrète, dont je parle peu… C’est un archétype de femme un peu dépassé mais qui a beaucoup de mérite. Elle supporte un mari pas simple, elle veut que ses enfants réussissent, elle fait son boulot sans rien dire, pourtant faire des ménages, c’est difficile. Moi j’aime bien cette femme.
Et puis il y a Louise, la copine de Paul, je l’aime beaucoup aussi. Elle a beaucoup de valeurs et des réactions très saines.
– Quel personnage aimez-vous le moins ?
Jean-Patrick est pour moi un personnage très étrange et insaisissable. C’est une personne que tout le monde connaît dans sa vie. Un type très bon qui fait beaucoup pour les uns et les autres mais qui manque de reliefs et qui n’a pas d’originalité. Certes, il a vécu des choses difficiles, il y a eu beaucoup de mensonges autour de lui mais il est fade.
D’ailleurs ce n’est pas un personnage physique dans le roman mais j’ai tenu à parler longuement de son père à travers ses lettres car c’est une histoire personnelle, son journal de guerre, c’est mon père. J’ai connu un père extrêmement sombre, très marqué par la captivité et j’ai su plus tard qu’avant la guerre il était un autre homme très gai et entreprenant tout sauf effacé comme j’ai pu le connaître. Évidemment, Jean-Patrick a été marqué par tout ça dans sa vie : par la lecture des lettres de son père, par sa sœur Stéphanie qui est partie et puis la perte de Dominique, son premier amour… Ca peut expliquer beaucoup de choses mais il n’est pas très marrant et il est niais. Même sa croyance religieuse, je ne sais pas trop quoi en penser.
– Quel message voulez-vous faire passer à vos lecteurs à travers ce roman ?
Le message n’est peut-être pas dans le livre justement ! Je parle d’ascenseur social qui ne fonctionne pas et je suis effaré de voir que les français sont sans réaction face aux problèmes qui arrivent. Ils ont l’air résigné et c’est terrible. Je ne comprends pas pourquoi ce pays ne se réveille pas. Ça va faire des gens aigris. A mon époque, les parents savaient que leurs enfants auraient une vie meilleure qu’eux et c’était formidable pour eux. Maintenant ce n’est plus ce que pensent les parents… Leurs enfants auront une vie moins belle qu’eux et c’est désolant.
– Est-ce que Marceline ou le monde des autres est le bon livre pour vous découvrir ?
Pas forcément, celui auquel je tiens beaucoup c’est mon livre qui s’appelle Deux garçons sans histoire. Une amitié particulière entre deux garçons de 13 et 15 ans à la fin des années 1960. J’y tiens parce que c’est une histoire vraie dont j’ai été le témoin et qui s’est très mal terminée. Celui de 15 ans, que je connaissais fort bien s’est suicidé devant la pression familiale pour être séparé du plus jeune et pour laisser la chance à celui-ci de s’en sortir dans la vie. Cette histoire m’avait choqué. Une histoire qu’on m’avait en plus cachée… Un jour il avait disparu, je ne savais pas ce qu’il était devenu et ça ne devait surtout pas se savoir, vous comprenez. C’est bien plus tard, 5 ou 6 ans après, par un ancien camarade de classe que j’apprends qu’il est mort.
– Connaissiez-vous la fin de votre roman avant d’avoir commencé l’écriture ?
Je ne connais jamais la fin de mes livres. J’aime ça justement. Si je connaissais la fin, ça bloquerait mon inspiration. Il m’est parfois arrivé de changer le parcours d’un livre en cours d’écriture parce que je voyais que ça n’allait pas mais la fin est toujours une surprise, même pour moi.
– Avez-vous des anecdotes que vous avez vécues pendant l’écriture de Marceline ou le monde des autres ?
L’écriture de ce livre était un peu chaotique parce que mes habitudes ont changé au même moment. Nous habitons un appartement et j’avais ma petite chambre pour travailler mais nous avons déménagé dans un espace plus petit après le départ de nos enfants. Maintenant, je travaille dans la salle de séjour avec ma femme qui vaque à ses occupations. Au début ça m’a beaucoup gêné et puis je m’y suis finalement habitué.
Il y a autre chose, c’est que ce livre-là, je l’ai retravaillé 4 ou 5 fois alors que les autres je les ai retravaillé 2 ou 3 fois pas plus. J’ai mis plus de temps à l’écrire parce que je voulais aller au bout des choses et des personnages.
– Merci Marc pour votre temps.
Journaliste : Carla Vizzacchero
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